Par Ambroise DAKOUO (Kidal, février 2009)
La ville de Kidal, chef lieu de la huitième région administrative du Mali est située au Nord du pays. Elle a une population estimée à 25 000 habitants, pour une superficie de 10 000km2, soit une densité de 3 habitants au km2. Cette population est constituée essentiellement de kel tamacheqs répartis en quarante fractions. Juridiquement, la fraction est composée de cent familles qui désignent à leur tête un chef de fraction et cinq conseillers.
On dénombre également dans la ville de Kidal la présence de plusieurs groupes ethniques à savoir : les maures, les sonrhaïs, les bambaras, etc. La principale activité de cette localité demeure l’élevage de type transhumant de camelins, de caprins et d’ovins. Toutefois, il faut noter que le commerce et l’artisanat s’y développent de façon satisfaisante. La principale religion dans cette localité est l’islam.
A Kidal, le mode vie et surtout de production de biens basé sur le nomadisme transhumant entraîne en général d’innombrables conflits liés l’usage des puits, aux bétails, etc. Face à ces conflits la connaissance des coutumes locales prévaut et aussi la prise en compte du paradigme religieux s’impose souvent comme un préalable.
En 2006, deux éleveurs kel tamacheqs de la ville de Kidal se sont battus sur leur puits pendant qu’ils abreuvaient leurs animaux. Ce conflit est né suite à la contestation de l’existence d’un puits qu’a creusé un éleveur à deux mètres d’un premier puits foré creusé un autre éleveur. Ce litige a provoqué des bagarres et par la suite a abouti au dépôt d’une plainte au niveau du tribunal de Kidal. Le plaignant qui n’est que le propriétaire du premier puits n’est pas d’accord avec l’existence du second puits creusé à environ deux mètres du sien. Face cette requête, le juge a à travers une correspondance écrite demandé l’intervention du cadi dans le règlement du litige. Le cadi est un juge musulman, il règle les litiges opposant les musulmans, les problèmes matrimoniaux, de succession, d’héritage, etc., sur la base des règles islamiques. Il exerce une grande influence sur les fidèles musulmans. Pour ces derniers c’est une autorité légitime dont les décisions sont reconnues et acceptées. C’est aussi un chef religieux qui dirige la prière dans les mosquées. Il peut cumuler ses fonctions de juge avec celle de marabout. En fait c’est le plus souvent, un marabout spécialisé dans le règlement des litiges.
Après avoir entendu la version des faits de chaque protagoniste, le cadi a désigné un habitant de la ville reconnu pour son intégrité morale pour se rendre sur le lieu où se trouvent les deux puits et de déterminer la distance qui les sépare. A la suite de cette investigation il a été établi que la distance entre les deux puits est de deux mètres. Le cadi a alors réuni les protagonistes afin de rendre son verdict.
Il a décidé que le plaignant n’avait pas raison et qu’il doit présenter ses excuses à l’autre éleveur.
C’est sur la base des coutumes locales que le cadi a rendu son jugement. Celles-ci mentionnent que la distance entre deux puits doit être un mètre. Or dans e cas qui nous occupe il est de deux mètres. Le plaignant a accepté la décision du cadi et a présenté ses excuses à l’autre éleveur.
Informé de la décision du cadi et du règlement local en la matière, le juge a homologué le verdict du cadi et a recommandé aux éleveurs le respect de la décision rendue par lui. La décision du cadi a ainsi permis de mettre fin au litige entre les éleveurs. Chacun d’eux a continué à utiliser son puits sans heurts depuis le verdict du cadi.
De l’analyse des conflits sociaux, on retient que le but est le plus souvent de maintenir et de garantir la cohésion sociale. A cet effet, les règlement sont plus basés sur la recherche du consensus que sur la pénalisation des actes commises. Il faut également souligner le prépondérant des autorités religieuses en occurrence celui du cadi dans la gestion consensuelle de ces litiges. Dans la ville de Kidal, on constate la vivacité des règles traditionnelles dans l’organisation des rapports tant privés que professionnels. Dès lors il paraît nécessaire de prendre en compte soit au niveau de l’administration locale soit au niveau des règlement juridiques l’importance que revêt les autorités rligieuse dans la délivrance de la justice.
Cette fiche est issue de l’entretien avec Monsieur Ahmed Ould BAANA, chef religieux, cadi de Kidal.