Des populations rurales concrétisent à leur façon « la santé à l’horizon 2015 »

L’expérience d’une médecine traditionnelle rationalisée à Kayemor

Alors que la médecine classique, dite moderne, progresse à pas de géant et monopolise légalement les soins de santé au Sénégal, les médecines traditionnelles n’en continuent pas moins de susciter un réel intérêt auprès des masses urbaines et rurales. Et pour cause, malgré les tentatives d’appliquer les mécanismes de l’initiative de Bamako, l’accès aux soins de santé primaires reste encore un mythe pour nombre de villages et bidonvilles gagnés par la paupérisation. C’est le cas de la Communauté Rurale de Kayemor, située dans l’Arrondissement de Médina Sabakh, dans le Département de Nioro. Ici, plus de 80% de la population a recours aux pratiques de la médecine traditionnelle. En plus des raisons précitées, il convient de souligner la légitimité de ces pratiques pluriséculaires utilisant des médiateurs matériels et spirituels en vue de restaurer, préserver ou promouvoir la santé des populations.

Comme chacun le sait, la santé fait partie des compétences transférées aux Collectivités Locales. Au regard de ce qui précède, Le Conseil Rural de Kayemor, sous ma conduite, soucieux d’assumer pleinement la gestion de la compétence transférée, s’est engagé à en faire la priorité des priorités. A cet effet, un diagnostic participatif fut organisé par la commission santé, appuyée par des partenaires au développement (Enda Santé et le Programme de Renforcement Institutionnel de la Communauté Rurale (RICOR)). Les résultats ont révélé les nombreuses difficultés rencontrées par les populations, à savoir leur faible revenu, la relative cherté des médicaments, le blocage momentané des organes de gestion - comité de santé- et enfin les limites de la décentralisation (faible fonds de dotation, manque de formation des acteurs, etc.).

A l’issue de ces ateliers, un programme de production de plantes médicinales fut lancé à Passy Kayemor et à Ndiarguène, villages situés à quelques kilomètres du chef- lieu communautaire Kayemor. Les activités amplifiées et améliorées se sont poursuivies jusqu’à ce jour, à travers d’autres programmes de continuité et d’enrichissement. Ces nouveaux programmes ont drainé la mobilisation et la participation effective d’autres partenaires spécialisés en la matière : agronomes, pharmaciens, botanistes, etc. formés dans de célèbres universités. L’objectif étant de protéger durablement la santé des populations par une gestion rationnelle de l’environnement et partant, une diversification des cultures. L’on a ainsi abouti à tisser tout un réseau économique et pharmaceutique (Réseau Vendre Autrement ou RVA). Aujourd’hui, vu l’impact, la production et la transformation, les plantes médicinales offrent des opportunités et des avantages indéniables :

Pour pérenniser ces activités, du reste concluantes, le « Penc » et les « Keppaar » (cadre de concertation communautaire et villageois) ont pris la ferme volonté de démultiplier la production dans d’autres villages. Mais en faisant en sorte que le volet « vente » ne puisse supplanter la vocation initiale, à savoir soigner les patients et prévenir les maladies.

Cependant, il reste à mener une autre bataille : faire légiférer ces pratiques de la médecine traditionnelle, un patrimoine.

Commentaires

L’expérience ainsi déclinée est loin d’être « une publicité mensongère » à la solde de tradipraticiens en quête d’argent souvent perceptibles en ville. Au contraire, c’est là un processus de mise en œuvre d’un système d’intégration alliant une médecine traditionnelle léguée par les ancêtres et des apports féconds et scientifiques de techniciens formés à l’occidentale. Cette initiative –normalement, une des missions régaliennes de l’Etat postcolonial - se trouve de façon autonome au cœur des préoccupations d’une zone intercommunautaire. La question fondamentale : l’Etat peut-il continuer à faire la politique de l’autruche en marginalisant et feignant d’ignorer cette médecine traditionnelle pouvant suppléer à bon escient la médecine dite officielle ?

En tout état de cause, l’action de ces populations s’inscrit dans le cadre des politiques de santé pratiquées par d’autres nations de civilisations millénaires- la Chine, la Malaisie, l’Inde, l’Australie, etc.- et dont l’efficacité est reconnue par l’OMS.

A cet égard, des pays africains comme le Bénin, le Burkina, etc. s’orientent dans ce sens. Certes, au Sénégal, ces pratiques sont souvent tolérées et rarement réprimées, il reste qu’un Etat de droit ne puisse faire l’économie d’un domaine qui concerne la vie des millions de ses concitoyens. Dès lors, il est, une nécessité impérieuse de repenser le système, d’organiser les tradipraticiens et toute la chaîne de production et de distribution en veillant au respect de l’éthique et de la déontologie, en vue de son intégration dans le système officiel du secteur de la santé. Pour ce faire, il convient à l’Etat de chercher à convaincre les hésitants et les opposants à une telle législation et de rester le maître du jeu, tout en préservant l’intérêt national. L’adoption d’une telle Loi s’avère une exigence démocratique car, les enjeux économiques sont de taille. En attendant, les populations de Kayemor continuent lentement mais sûrement leur expérience - à l’échelle de toute une zone- qui en toute humilité aura valeur de test.

Notes

« la santé à l’horizon 2015 » : un des objectifs du Ministère de la Santé, un slogan.

La communauté rurale est une collectivité locale, dotée de l’autonomie financière. Elle est constituée par un certain nombre de villages appartenant au même terroir, unis par une solidarité.

Enda Santé : O.N.G basée au Sénégal, ici un de ses démembrements s’occupant de la santé.

RICOR : le Programme de Renforcement Institutionnel de la Communauté Rurale.

Les programmes de continuité sont : le PDCR : Programme de développement de la communauté rurale de Kayemor ; le PDIC : Programme de développement intercommunautaire ; le DRA : Développement rural alternatif.

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