Des complicités entre les organes de gestion et le personnel technique : des nuisances au poste de santé de Kayemor
Par DIOUM, Gorgui Bocar (Kayemor, mai 2009)
Cette expérience relate des manquements constatés çà et là au poste de santé de Kayemor, l’unique poste de la communauté rurale couvrant 23 villages pour quelque 20 000 habitants.
Pour rappel, les postes de santé sont censés disposer chacun d’un comité de gestion et d’un comité de santé.
Le comité de gestion est composé des 5 membres suivants :
l’exécutif local qui le préside, après arrêté ;
un conseiller rural (le Président du Conseil Rural par exemple) :
le président du comité de santé ;
le trésorier du comité de santé ;
le responsable de la structure sanitaire (ici, l’Infirmier Chef de Poste).
Ce comité de gestion a comme attributions essentielles, de délibérer sur :
les projets de budget ;
les comptes ;
le fonctionnement ;
les travaux de réparation du poste ;
les activités sociales.
Quant au comité de santé, doté de la personnalité juridique, il est administré par un bureau dont les membres sont élus par une assemblée générale représentée par les populations. Toutefois, il est sous la tutelle technique de l’ l’Infirmier Chef de Poste (ICP) et non sur le plan administratif mais, il est sous la tutelle du représentant de l’Etat. Ce comité est tenu d’informer les populations sur les problèmes de santé et le fonctionnement de la structure sanitaire (poste). Sa gestion financière n’est en aucun cas contrôlée par le comité de gestion.
En somme, deux structures différentes dans un poste de santé où il y a cogestion entre le comité de santé et les techniciens de santé, dans les limites des rôles et responsabilités des uns et des autres. Voilà pour les textes.
Qu’en est-il de la réalité sur le terrain à Kayemor ?
Depuis 1996, année du transfert des 9 compétences et du début de la régionalisation au Sénégal, les comités de gestion n’ont jamais bénéficié de formation à Kayemor. Pourtant 40% du budget de la Communauté rurale sont alloués à la santé. Les membres de ce comité ne se réunissent pas. Pis, ils s’informent auprès de l’ICP qui semble décider de tout. Ce déficit de formations institutionnelles et d’informations nous a valu des moments très difficiles de 1996 à 2001. Le Président du comité de gestion était le fils du président du comité de santé. Le trésorier a été choisi pour remplacer son père démissionnaire, donc tout reposait sur un clan familial. Le déficit avéré de formations des membres dudit comité a créé un vide occupé par l’ICP, resté le maître du jeu !
Un jour, un ICP s’est même permis de voyager, pour ses besoins personnels, avec l’ambulance du poste jusqu’à Touba. C’est en pleine réunion du conseil rural que l’affaire a été ébruitée et une décision du conseil l’a sommé de ramener la voiture dare dare.
En outre, l’achat de ce véhicule s’est fait en catimini par l’ICP et le président du comité de santé et le trésorier. Après coup, l’on s’est rendu compte que le véhicule n’était pas en mesure d’évacuer les malades car, il s’agissait d’une « AUDI 80 », une voiture de luxe !
Tous ces manquements et négligences ne font que confirmer le manque de considération de certains ICP envers les structures de santé que sont le comité de gestion et de santé, la commission santé du conseil rural. Mû par ses propres intérêts, tout ICP du genre décrit plus haut déploiera des stratégies pour étouffer les organes qui pourraient constituer pour lui un contre - pouvoir. Pendant ce temps, le Président du Conseil Rural n’est là que pour inaugurer les chrysanthèmes au nom d’une santé dont il ne mesure pas les enjeux.
C’est pourquoi, le partenariat en matière de santé pose problème. Des partenaires comme Plan International ont beaucoup travaillé dans la Communauté Rurale mais en s’appuyant uniquement sur le poste de santé qui dépend du district sanitaire de Nioro du Rip. Or, ce dernier dans sa politique par l’intermédiaire du comité de santé du district sanitaire ne se préoccupe pas outre mesure de la fonctionnalité des comités des postes de santé. Ainsi, les ICP ont toutes les coudées franches pour manœuvrer indirectement les cases de santé. Leurs techniques utilisées dans le but de limiter les forces et acquis des cases se résument ainsi :
créer les conditions de pénurie de médicaments au niveau des cases de santé ;
récupérer par la suite tous les malades au niveau du poste ;
augmenter ainsi le chiffre d’affaires du poste et du montant alloué à l’ICP lors des bilans financiers par rapport au taux qui lui est accordé.
Voilà en gros ce que le déficit de formation des membres des organes nous a coûté !
Les ICP ne veulent pas des organes qui maitrisent leurs rôles et responsabilités car, cela entraîne la diminution de leurs profits. Il urge de coupler le transfert des compétences avec le transfert des connaissances et de la technicité par le biais des formations initiales et continuées des élus locaux potentiels.
Ce qui apparaît à travers cette fiche montre avec éloquence que les incohérences nées de la décentralisation et notamment du transfert des domaines de compétences aux collectivités locales n’ont fait que renforcer les pratiques d’opacité. Ce qui ne contribue guère à l’amélioration de la qualité et l’accessibilité des soins et à la bonne gestion des postes de santé.
Dans la pratique, il conviendrait de :
prévoir dans le budget une somme pour la formation des membres des dits organes ;
rendre opérationnelle la commission de santé ;
former les membres des organes sur : les rôles et responsabilités ; les techniques de communication ;
favoriser des rencontres permanents et réguliers entre acteurs de la santé.