Par BADOU, Timothé (février 2000)
Depuis 19991 l’Etat béninois a entrepris le transfert aux organisations paysannes d’un certain nombre de compétences exercées jusque- là par les structures d’Etat. Dans certaines zones elles ont réalisées des infrastructures d’interêt communautaires (écoles, magasins communautaires etc.). Le coton est le produit agricole qui fournit l’essentiel des recettes.
Pourtant, à l’ombre de toutes ces belles réalisations se commettent bien des malversations. Tout d’abord, les organisations paysannes sont souvent contrôlées par des groupes de lettrés qui monopolisent les postes pendant plusieurs années et s’y maintiennent grâce à la corruption. Ils abusent du manque de formation des paysans et les tiennent peu au courant de la gestion de leurs fonds.
Face à cette corruption généralisée, le président de la République a dû réagir. Le 21 juillet 1997, Mathieu KEREKOU envoie une lettre au ministre du Développement rural. Après avoir dénoncé "les détournements" "la corruption à outrance" et le défaut de renouvellement des organes dirigeants, cette lettre prescrit "la bonne gouvernance à la base". Le président de la République enjoint à son ministre de prendre des mesures vigoureuses : renouvellement des membres des coopératives, interdiction à ceux qui ont déjà fait six ou neuf ans d’être candidats, poursuite des auteurs des malversations.
"Cette lettre du chef de l’Etat est une ingérence grave dans le fonctionnement des organisations paysannes qui sont avant tous des coopératives. Il n’appartient pas au président de la République de nous dire quand nous allons faire les élections ou que faire quand un de nos membres est corrompu", proteste un responsable paysan. "Lui, il a fait dix-sept ans de pouvoir. Cela ne l’a pas empêché de revenir pour un autre mandat de cinq ans. Dieu seul sait s’il ne va pas se représenter à l’élection de 2001", renchérit un autre. De fait, ceux qui veulent contester la gestion des organisations paysannes trouvent dans ce texte un encouragement certain. Cette lettre est devenue un facteur de subversion. On s’en sert contre des bureaux qui ne sont même pas encore au terme de leur mandat. C’est de la pagaille", s’insurge un autre responsable paysan.
Certains cadres pensent qu’il est de leur devoir de mettre bon ordre à tout cela. Dans une déclaration datée de 2 mai 1998, un groupe de quinze cadres originaires de Gogounou, tout en s’instituant défenseurs des paysans de leur localité contre leurs dirigeants, "dénonce publiquement les responsables des autres unions départementales des producteurs des unions sous-préfectorales de producteurs qui soutiennent leurs pairs de Gogounou pour se prémunir contre l’orage qui les guette". Trois responsables paysans sont poursuivis pour abus de confiance, à l’initiative ou avec le soutien de certains de ces cadres, devant le tribunal de première instance de Kandi.
Dans une réaction publiée dans le quotidien le Matin du 12 mai 1998, la Fédération des unions sous-préfectorales des producteurs du Bénin (Fupro) contre attaque : "De grands intellectuels de ce pays formé dans les plus célèbres Universités et écoles supérieures du monde ont mal géré pendant quarante ans les services et entreprises de l’Etat et cette médiocrité continue ... Nous paysans ne comprenons pas que certains intellectuels soutiennent qu’un transfert de compétences à peine amorcé puisse donner les aptitudes nécessaires et suffisantes pour bien gérer nos fonds collectifs dans l’espace de huit ans". Et la Fupro conclut : "Tout ce qui reste à souhaiter et à demander aux autorités politico-administratives de ce pays, c’est de respecter l’autonomie des organisations professionnelles agricoles et leur permettre de faire l’apprentissage de la gestion à leur rythme".
Le problème reste entier. L’assainissement de la gestion de l’argent du coton est une évidence pour tous. Mais qui aura l’autorité morale pour le faire ?
Les organisations paysannes, surtout celle des zones cotonnières, gèrent beaucoup d’argent depuis 1991, année où l’Etat leur a transféré un certain nombre d’activités. Ces fonds sont cependant l’objet d’importantes malversations. Mais qui peut "moraliser" ces coopératives ? "Surtout pas l’Etat, encore moins les cadres", disent les producteurs. Cette situation si on ne si prête pas attention risque d’être un grand obstacle pour la décentralisation en cours dans notre pays.