Par Tikpi Atchadam (lomé, novembre 2009)
Les Tém sont un peuple de la région centrale du Togo qu’on retrouve au Bénin et au Ghana, pays voisins. C’est une société à Etat avec un gouvernement, une armée et une justice. La justice rendue par la cour du roi se charge de régler les conflits nés. Mais à côté d’une justice très hiérarchisée avec des degrés de juridiction, il y a des mécanismes permettant d’éviter le conflit dans la communauté.
La justice chez les Tém ne connaît pas l’avocat. Ce terme est inconnu de leur lexique juridique.
Les parties ne comparaissent pas devant le roi-juge avec leur avocat. D’entrée de jeu, la cour royale n’est pour personne. Au moment où s’ouvrent les débats, la cour est un bloc unique qui va écouter les parties ou le prévenu. On développe des thèses et des antithèses autour des prétentions et arguments des parties. Dans ce contexte, il n’y a ni avocat, ni client. Il n’y a pas d’avocat pour défendre une partie quelles que soient les charges qui pèsent sur elle ; ce qui justifie l’existence de dossiers indéfendables. Dans ce cas, le pardon ou les excuses sont présentées à la cour de façon anticipée, avant l’ouverture du procès, parfois avant la date prévu pour le jugement.
Dès que le procès commence avec l’exposé des faits, des prétentions et des arguments, les notables et les sages posent des questions à l’une ou à l’autre partie afin d’éclairer le dossier. Au cours des débats, il arrive que la cour se divise en ‘’deux partie’’: une partie pour le demandeur (sa cause) et l’autre partie pour le défendeur (sa cause). C’est une scission imprévisible. Les débats se poursuivent jusqu’au ralliement de tous (consensus) à ce qui doit être.
Au cours des débats, presque toute l’audience, si c’est nécessaire, participe à la recherche de la vérité, du comment les choses doivent être pour l’harmonie dans la société. La parole circule mais gérée de façon rigoureuse par la cour, notamment « Kpékpassi », le deuxième responsable après le chef ou le roi. Toute personne présente à l’audience peut demander la parole à la cour et contribuer à la manifestation de la vérité.
Précisons qu’à un tel procès, les parties se battent pour justifier leurs comportements par rapport aux normes socialement définies et acceptées. La question souvent posée aux parties est : Est-ce que ce que tu as fait là est bon ? Est-ce qu’on fait ça ? La cour conduit par ce questionnement chacun à comprendre son comportement et à le mesurer avec la norme comportementale édictée par la société. On dit parfois : « Toi même regarde ».
C’est pourquoi on entend souvent le refrain suivant : « Tu as vu ? ».
Quelle est l’imagerie populaire de l’avocat dans le milieu tém ? Ce sont, pour eux, des gens qui voient la vérité pour la contourner. Ils ont appris de part leur formation à arracher la vérité à celui qui a raison, à présenter un mensonge hideux en une vérité. Cette image contraste avec celle des notables de la cour royale qui rendent leur justice à la fois devant Dieu, les ancêtres, les esprits, les divinités et devant les hommes.
Le juge et l’avocat sont considérés comme des menteurs dans un milieu où la justice est « tovonoum » (vérité). Tout le procès moderne est perçu comme un tissu de mensonges. C’est pourquoi il suffit d’y travailler pour être considéré comme menteur. Les acteurs de la justice sont des gens qui ne ‘’verront pas demain’’, c’est-à-dire l’au-delà. Le juge et les avocats n’ont rien à y gagner. On disait même dans le milieu qu’on les enterre après leur mort, le visage contre le sol.
Pour la justice traditionnelle, le règlement du litige et la recherche de la manifestation de la vérité n’est pas l’apanage de quelques professionnels, mais l’œuvre de tous. Tout le monde aide les parties à comprendre leurs actes et à se concilier.
En plus, dans le contexte du droit officiel, l’égalité des armes qu’on pense assurer, fonde l’inégalité devant la justice. A ce sujet, tout le monde connaît la nonchalance, le manque d’intérêt et de détermination, le manque d’inspiration des avocats commis d’office. Ce sont des dossiers humanitaires pour des professions libérales, pour des cabinets qui payent des impôts, des charges dues à leur fonctionnement. On sait en plus que bon avocat et pauvreté ne font pas bon ménage. On peut même affirmer que c’est l’avocat qui fait la cause et non les faits tels qu’ils se sont déroulés.