By DJONOUKOU KOSSI Tata (lomé, November 2009)
Nano est un canton de la préfecture de Tône, au nord du Togo. Dans ce canton, a éclaté entre deux clans un litige foncier qui faillit dégénérer en conflit armé. Des deux côtés la mobilisation et les préparatifs étaient déjà très avancées. On pouvait voir monter dans les airs de la fumée, signe de la préparation sur de grands fourneaux, des tisanes magiques censées conférer l’invulnérabilité.
Les femmes s’étaient déjà réfugiées avec de lourds bagages dans les montagnes. En plus des flèches, on pouvait également voir de vraies armes de guerre de fabrication artisanale, probablement amenées du Ghana.
Saisi de l’affaire, le chef KOUNKONGOUE de Nano partit à grande vitesse pour une médiation. Il tint tour à tour à la jeunesse des deux clans un discours d’apaisement plein de sagesse : «Votre chef de clan vous envoie à la mort. Revenez à la raison. Si vous mourez à cause d’une parcelle de terre, qui la mettra ensuite en valeur ? Faut-il mourir à cause d’une mésentente ? S’il y a un litige, ne vaut-il pas mieux le régler ? etc. ». Des applaudissements frénétiques ponctuèrent le discours du chef, en signe d’approbation.
L’affrontement étant ainsi évité de justesse, le litige fut ensuite réglé. Comment ? Eh bien, vu la gravité de la situation, le chef de canton fit appel au préfet pour traiter le problème sur le terrain.
Au jour dit, le préfet, bien que patron de l’administration, jugea plus utile de recourir à une procédure traditionnelle plutôt qu’à la justice moderne.
En quoi consiste cette procédure ? Il s’agit d’enterrer un poulet vivant, après des libations aux ancêtres et aux fétiches protecteurs de la terre. Trois jours après on ouvre le trou pour retrouver le poulet maintenu vivant par des forces occultes. On tue alors le poulet qu’on fait cuire ensuite. L’épreuve consiste à manger de ce poulet. Seul celui à qui appartient le terrain en vérité peut en manger sans risquer de mourir.
Pris de peur, les deux chefs de clans refusèrent de se soumettre à cette épreuve car en fait, étant des étrangers installés depuis des décennies dans ce canton, ils n’avaient que l’usufruit sur la parcelle litigeuse et non un vrai droit de propriété.
C’est de cette manière que la paix a été retrouvée entre les deux clans, alors que par cupidité, ils allaient s’entretuer pour un bien qui ne leur appartenait pas en réalité.
L’on voit encore le rôle considérable joué par la croyance aux mânes des ancêtres dans nos milieux traditionnels, par le maintien de la paix. Dans ces milieux, nul ne serait dénier à ces entités leur existence et leur pouvoir, tout simplement parce qu’on ne les voit pas ; de même pour l’Occident cartésien, il serait inconcevable de dénier à l’air et à la pensée toute existence et tout pouvoir parce qu’on ne les voit pas.