L’exemple de l’initiative conjointe CNPS - Professionnels français de la pêche contre les accords de pêche et la globalisation des marchés
By SALL, Aliou
La mer a toujours été considérée comme un espace de conflits, nourris par la compétition entre la pêche industrielle et la pêche artisanale. Cette compétition vers la ressource qui peut déboucher sur des bagarres rangées très intenses, existe aussi entre pêcheurs artisanaux exposés à une rareté de la ressource. Les problèmes de cohabitation entre pêcheurs français et espagnols ou plus près de chez nous entre sénégalais et mauritaniens en témoignent. Certains observateurs non avertis continuent à affirmer que les profondes causes à ces conflits sont d’ordre socio-culturel : des gens ne partageant pas les mêmes coutumes.; L’observation nous confirme qu’il s’agit bien du problème du partage de ressources qui se raréfient. Ce qui est encore plus vrai dans la pêche artisanale où le nombre de pêcheurs augmente de jour en jour.; Si la mer peut être considérée comme un espace de conflit, elle est aussi un lieu où se tissent des liens de solidarité qui dépassent les frontières culturelles et constitue un réceptacle favorable aux échanges d’expériences. Ces échanges ont permis aux pêcheurs et femmes dépendant des pêches dans leur diversités culturelles de vaincre le sentiment d’impuissance qui les animait vis-à-vis des Etats et des financiers qui contrôlent à l’échelle internationale les grosses rentes tirées de la pêche.; Nous allons nous référer à l’expérience conjointe du CNPS d’une part et des pêcheurs Bretons et Normands d’autre part qui ont organisé en Mai 1995 au Sénégal une rencontre, afin de voir quelle stratégie adopter face à la globalisation de la pêche par le biais de la délocalisation des flottilles et du marché. Cette rencontre a eu lieu à Joal, village de pêcheurs. Il s’agissait d’une volonté commune à d’étudier les impacts de la globalisation sur leurs communautés respectives d’une part et de voir quelle démarche concertée entreprendre afin de lutter contre les accords de pêche.; Un travail de recherche sur les flux commerciaux de poisson entre le Sénégal et l’UE a été mené au préalable par le CREDETIP et IBIS-OBEMAR (l’Observatoire des pêcheurs bretons)à la demande des pêcheurs sur financement du CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement). La restitution des résultats de l’étude a permis de déceler certaines aberrations lors de cette rencontre. En effet, ni les pêcheurs français ni leurs collègues sénégalais ne trouvaient d’intérêt dans le développement des échanges soutenu par la délocalisation des flottilles vers l’Afrique de l’Ouest. Pour les français, l’arrivée des bateaux de pêche traduisait perte d’emploi, mise à marché de produits de bonne qualité et à vil prix pouvant être considéré comme du dumping. Quant aux sénégalais, cela engendrait compétition sur la ressource, pertes de vie humaine et matérielles dues aux incursions des bateaux dans la zone réservée à la pêche artisanale ; sans parler des conséquences de l’accès des bateaux communautaires sur l’alimentation humaine.; L’un des plus importants résultats de cette rencontre réside dans ce constat unanime : ce ne sont ni les pêcheurs français encore moins les sénégalais qui profitent du marché et de sa globalisation .Ce qui remet en cause l’idée tant défendue que la dévaluation profite à la pêche de plus en plus orientée vers l’exportation. Il s’avère peut être nécessaire de rappeler que dans la pêche artisanale (qui assure pas moins de 65% des exportations)tous les intrants sont importés y compris le bois exception faite de la main d’oeuvre.
Cette expérience mérite d’être connue pour trois raisons fondamentales.
* D’abord, à cause des besoins d’une délocalisation des flottilles européennes vers les eaux du Sud, certains pensaient que les pêcheurs de l’UE devaient avoir des intérêts diamétralement opposés à ceux de leurs pairs dans les ACP.
* Ensuite , les manifestations des pêcheurs français contre l’arrivée de produits provenant du Tiers Monde dans les années 90 ne pourraient présager d’aucune alliance entre eux et les pêcheurs sénégalais. Les sabotages de quantités importantes de poisson venant du Sénégal au niveau de Rungis reste encore gravé dans les mémoires.
* Enfin, compte tenu des spécificités culturelles des communautés de pêcheurs, nul ne penserait que les pêcheurs auraient cette capacité de lier l’action qu’ils mènent localement aux initiatives prises à l’échelle internationale.
Cette solidarité internationale qui s’est concrétisée par une volonté de réfléchir ensemble sur des enjeux communs tels que l’internationalisation de la pêche, a consolidé les pêcheurs dans leurs positions. Elle leur a permis de renforcer leur capacité de lobbying, de négociation. Pour le CNPS, les comités locaux des pêches du Guilvinec et de Cherbourg sont des relais d’opinion indispensables qui ont joué un rôle capital lors des campagnes au sein du Parlement Européen. C’est aussi grâce à ces comités locaux qui ont eu à assurer le portage de quelques requêtes que les sénégalais accèdent progressivement aux fonds publics de développement du gouvernement français. Il faut reconnaître que ces fonds publics (et même ceux du Fonds Européen de Développement)sont traditionnellement plus accessibles par des mouvements polarisés par leurs gouvernements dans les pays du Sud.
Cette solidarité entre gens de mer a débouché sur la création du forum mondial des travailleurs de la pêche dont les principales devises sont:
combattre l’aquaculture industrielle et la pollution des zones côtières,
défendre les droits historiques des communautés de pêcheurs à accéder à la ressource,
lutter contre le tourisme compte tenu de ses effets négatifs sur les populations littorales.
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
1999/02/15