By SALL, Aliou
A partir des années 60, nous avons constaté en Afrique de l’Ouest , une émergence d’organisations des producteurs dans le monde rural. Ces organisations qui prennent parfois la dimension de "mouvements sociaux" ont d’abord vu le jour dans le milieu agricole avant de faire tâche d’huile dans le milieu de la pêche traditionnellement moins organisée de façon formelle. Dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, et plus précisément dans la zône comprise entre la Mauritanie et le Golfe de Guinée.
Aussi bien dans la paysannerie que chez les communautés de pêcheurs, les organisations ont traditionnellement focalisé leurs revendications sur des demandes exclusivement matérielles, financières ou tout simplement économiques. Mais de nouveaux enjeux auxquels sont confrontées les communautés de pêcheurs ont profondément influencé les orientations des organisations rurales. Ces enjeux ont pour synonymes : rareté de la ressource, pollution des eaux et surtout développement du tourisme sur la frange côtière rendant complexe l’enjeu foncier.
En effet, ce n’est qu’à partir des années 80 que nous avons assisté à la création d’organisations de pêche refusant de limiter leurs revendications à des préoccupations strictement économiques telles que : les besoins en intrants, la demande de crédits ou l’organisation des filières de commercialisation.
Le développement du tourisme a certes eu des impacts négatifs sur le littoral que nous verrons plus en détail dans les lignes qui suivent.
Cependant, ce même secteur a eu le mérite d’avoir renforcé les organisations de la pêche dans leurs revendications en les politisant davantage.
Comment et pourquoi le tourisme est-il devenu un si grand enjeu pour les communautés maritimes ?
Le tourisme est pour nous Africains, un domaine habituellement réservé aux étrangers - notamment les blancs- à la recherche de sable fin blanc, de soleil pour se bronzer_ etc. Ces produits sont généralement recherchés sur les côtes aux plages parsemées de cocotiers. Seulement, sur ces mêmes plages sont menées depuis des générations des activités de pêche et d’autres activités qui lui sont liées. Contrairement aux pays du Nord, les communautés vivant sur le littoral mènent toutes leurs activités à même la plage : halage des pirogues, étalage des filets à réparer, commercialisation du poisson frais, transformation du poisson par le biais de techniques locales traditionnelles.
La zone côtière, intégrant l’assiette foncière dénommée communément "domaine maritime" est le "lieu par excellence" de développement des activités maritimes. La représentation que les sociétés traditionnelles se font naturellement du terroir où elles se sont installées est structurante d’un droit foncier qu’elles revendiquent. Pour cette raison, hommes pêcheurs et femmes mareyeuses ou transformatrices pensent bénéficier d’un droit traditionnel d’accès aux terres dans la zone côtière.
Concernant les pêcheurs, la zone côtière signifie aussi bien la terre (lieu d’habitation et de déploiement des activités maritimes) que zones maritimes où sont utilisés quelques engins de pêche traditionnelle tels que : épervier, senne de plage, filet maillant dérivant, filet dormant et quelques variétés de barrages. Dans certains pays tels que le Sénégal, la Gambie, la Mauritanie, la Guinée Bissau et la Guinée, le tourisme gêne considérablement les pêcheurs dans l’exercice de leurs activités.
Par exemple au Sénégal, bon nombre de pêcheurs n’arrivent plus à déployer leurs sennes de plage faute d’espace accaparé aujourd’hui par les complexes touristiques qui les ont privatisés par les moyens du balisage aux bouées. D’intenses activités de plaisance s’y développent. De même, le mouillage des bateaux de plaisance et de pêche sportive tout près des côtes ne permet plus à certains pêcheurs utilisant la rame de pratiquer la pêche au filet dormant dans leurs lieux habituels de pêche. Ces problèmes de cohabitation entre le tourisme et les pêcheurs traditionnels à bord de pirogues encore propulsées à la rame sont plus accentués dans les sites de Mbour, Hann et Sendou. A cette appropriation de l’espace maritime par les promoteurs touristiques, s’ajoute une expropriation des pêcheurs des espaces utilisés pour le stationnement des pirogues, la confection de filets et des endroits initialement destinés à garder divers équipements.
Les femmes transformatrices sont aussi victimes de ce développement effréné du tourisme. Depuis plusieurs années, les femmes basées à Mbour sont sous la menace d’un déguerpissement. Les autorités publiques préférant défendre les intérêts des promoteurs touristiques au détriment des femmes malgré les avantages socio-économiques du secteur de la transformation : création d’emplois, approvisionnement des populations sénégalaises, mais aussi ouest-africaines en produits transformés bien adaptés à nos traditions culinaires. L’Administration ne cesse de rappeler aux femmes de Mbour que la fumée dégagée par le fumage gêne terriblement les touristes (étrangers bien sûr). Il serait important de rappeler aux autorités, l’importance du rôle joué par une localité comme Mbour dans le processus de l’Intégration africaine et surtout du marché inter-étatique. C’est en effet un point de convergence de plusieurs commerçants venant de plusieurs pays de la sous-région qui contribuent à leurs échanges de poisson répondant à nos propres normes africaines (aussi bien sur le plan du goût que sur le plan de sa présentation) plus fluides entre nos frontières.
Dans certaines localités, la transformation artisanale a complètement disparu faute d’espace nécessaire. L’utilisation du domaine maritime à usage d’habitation pour des gens fortunés étrangers et locaux a conduit par exemple au déguerpissement des femmes de Hann vers quatre kilomètres de leur lieu d’habitation. Vers la fin des années 80, un petit groupe de femmes qui avaient réussi à se maintenir sur la côte ont été chassées vers Thiaroye par certaines autorités politiques du village en collaboration avec la gendarmerie, sur la demande d’un Coréen qui voulait démarrer une usine de traitement de poisson. Ce dernier ayant promis, à l’époque, le recrutement à bord de ses bateaux de certains proches de ces dirigeants politiques.
On constate donc que l’expropriation des communautés remet en cause le droit d’accès à la terre, mais aussi hypothèque le droit d’usage de la ressource pour bon nombre de petits pêcheurs qui ne sont pas encore à l’ère de la motorisation. Il s’agit de pêcheurs opérant sur des embarcations encore propulsées à la rame et/ou à la voile ne pouvant reporter l’effort de pêche sur des zones de pêche plus lointaines.
Les promoteurs touristiques développent leurs activités sur des terres initialement utilisées par les communautés maritimes pour la pêche, la transformation et même dans certains cas l’agriculture (qu’elles menaient de pair avec la pêche). Le processus d’expropriation dans les localités de Mbour, Joal, Kayar, et Saint-Louis passe par une "privatisation d’activités annexes (plaisances), forcent pêcheurs et femmes transformatrices ou mareyeuses à réduire leurs activités. Dans certains cas, cela se traduit carrément par une cessation d’activités.
Face à cette situation, certaines communautés de pêcheurs commencent à s’organiser pour contenir ce développement du tourisme aux conséquences négatives. A ce titre nous pouvons citer peut-être parmi tant d’autres, l’exemple du Collectif des Pêcheurs du Sénégal (CNPS).
La campagne du CNPS : Pour un tourisme plus social respectueux des droits humains et des traditions
Le CNPS a entamé entre juillet et août 1999 une campagne pour dénoncer les méfaits du tourisme. Cette campagne comporte plusieurs phases : manifestes adressés aux autorités, conférences de presse. Une demande est aussi adressée au gouvernement pour qu’une étude conjointe CNPS-Ministère du Tourisme soit menée afin d’évaluer les conséquences du tourisme face à la pêche traditionnelle. Dans sa campagne, le CNPS entend faire des propositions concrètes au gouvernement pour le passage d’une relation conflictuelle entre pêche et tourisme vers une cohabitation saine entre les deux secteurs. L’une des plus importantes demandes du CNPS adressée au gouvernement est "le vote par le parlement sénégalais d’une extension foncière réservée aux communautés de pêcheurs".
Cette campagne est en soi un enjeu de taille dans la mesure où elle révèle les conflits de compétence entre administration centrale d’une part, et les communautés qui ont leurs propres mécanismes de régulation d’accès à certaines ressources comme la terre.
Il est évident que les femmes auront encore un rôle extrêmement important à jouer dans cette campagne pour la réhabilitation du droit d’accès à terre dans la mesure où, pour des raisons historiques et culturelles, l’essentiel des activités féminines (transformation, micro-mareyage) se font à terre.