By TRAORE, Koufecou A. (2002)
Pour mieux insérer chaque territoire local dans son contexte il y a tout d’abord lieu de rappeler ce que dit Joseph Ki ZERBO dans l’histoire de l’Afrique Noire page 29. Editions - Hâtier - Paris 1976. ’’Un peuple ne peut vraiment affronter son avenir sans une vision de son passé. On ne peut vivre avec la mémoire d’autrui or l’histoire est la mémoire collective des peuples. Pour qu’ils se sentent concernés par l’avenir, il faut qu’ils se sentent héritiers d’un passé ".
Les découpages coloniaux qui ont balkanisé l’Afrique avaient des visées de domination et d’exploitation dont souffre les peuples d’Afrique jusqu’à nos jours après un demi siècle d’indépendance.
L’indépendance des territoires ne sera complète et réelle que lorsque tous les modèles en vigueur des territoires ne mettent en cause pour prendre en compte la connaissance des mécanismes traditionnelles de régulation sociale à travers les divers aires culturelles d’une part et l’analyse, historique, sociologique et anthropologie des aires culturelles afin de préciser autant que possible les caractéristiques dominantes des institutions et de la culture administrative. Il s’agit à ce niveau de dégager le fond commun que partage l’ensemble des populations du territoire et qui constitue la richesse de la nation. .
Le Mali est une vieille nation mais aussi un jeune pays. La complémentarité de ces deux éléments constitue à coup sûr l’atout majeur du pays. La culture du Mali est une culture totale, complète, née du brassage de plusieurs groupes différents en un endroit précis : du pays de la kola au pays du sel. Le métissage culturel est né de la rencontre des guerriers du désert des agriculteurs noirs et des peulhs transhumants. L’histoire établit aujourd’hui avec certitude que les autochtones de cette zone étaient parvenus à constituer des villages au néolithique. On peut imaginer aujourd’hui que cela ne fut possible que dans l’échange intercommunautaire, interculturel, interethnique. Autrement dit, dans la diversité, dans le respect de la diversité, la tolérance, le partage.
La charte morale ainsi établie et le pacte social qui en découle ont permis sécurité, stabilité et prospérité à ces ensembles humains. C’est dans ce prolongement qu’est né le premier Etat organisé d’Afrique Noire : le Ghana. Toute la revue historique établit aujourd’hui que l’empire du Ghana était une fédération de royaumes avec une administration centrale qui intégrait à partir de mécanismes souples d’autres royaumes vassaux et soumis dans le respect de leurs particularismes en leur accordant une très large autonomie en ce qui concerne leur gestion locale.
L’islam, le commerce et l’écriture que les arabes ont apporté à l’empire du Ghana ont été pour cette civilisation originale un puissant moyen de progrès, de développement, d’épanouissement et d’ouverture sur le monde. Ces différents apports arabes ont donné naissance, par leur fusion avec la culture autochtone, à une civilisation qu’on appelé la civilisation soudanaise. Cette civilisation va se développer de façon endogène et s’imposer sur mille ans dans l’histoire. Le relais de cette civilisation née au Ghana sera prise par le Mali à partir de 1050 par la conversion à l’islam du premier souverain manding Bara Mandana (Bori Mandé).
Le royaume touareg de Tadamakate et l’empire de Iwillimeden vont servir de puissant relais entre le sud et le nord du continent africain.
En 1236 à Kourou Kan Fouga l’empereur Soundiata KEITA avait définit droits et devoirs de tous les peuples au sein de la fédération de royaumes qu’ils avaient constituée. Le principe de gouvernance par rapport à l’empire du Ghana n’avait pas changé dans sa nature. Il fut développé, amélioré et adapté aux exigences de l’époque. Dans ses grandes lignes, il respectait la diversité et le particularisme de la mosaïque d’ethnies composant l’empire. Cet état multiethnique servait de moule à l’unité de l’ensemble. L’empereur Soundiata KEITA procéda à la restructuration profonde de la société en constituant une classe de nobles et différentes classes d’hommes libres et de dépendants. Il agrandit ensuite l’empire et le consolida pendant une période de 20 ans. Au temps de Soundiata KEITA les terres du Mali s’étendaient de l’Océan Atlantique au lac Tchad. A la mort de Soundiata en 1255, son successeur, l’aîné de ses fils Kô Mamadi s’occupa surtout de l’organisation administrative du territoire grâce à une décentralisation de type fédéral..
Le noyau de civilisation dont le système de gestion administrative, politique et sociale avait été initié par l’empire du Ghana mûrit dans celui du Mali. " Pour gouverner cet immense empire dont on disait du temps de Mahmoud Kati qu’il avait 400 villes, les rois du Mali ont adopté un système très décentralisé. Leur empire ressemblait à une mangue. Au centre un noyau dur soumis à l’administration direct du roi qui y passait partout de temps à autre. Ce royaume était subdivisé en provinces administrées sur place par un Diamanatigui ou Farba. Les provinces, elles mêmes se subdivisent en canton (Kafo) et en village (dugu). L’autorité villageoise était parfois bicéphale avec un chef de terre religieux et un chef politique. Autour de ce noyau central une pulpe de royaumes maintenue dans une stricte dépendance mais qui n’étaient gouvernés que par l’intermédiaire de leur chef traditionnel. Le Farba du roi servait alors comme ministre résident, invertissant le chef local parfois selon les coutumes du pays tel ce chef targui de Tombouctou investi par le Farba Moussa représentant le Mansa Souleymane avait une tunique et un turban. Il le fit asseoir sur un bouclier qu’il fit soulever par les seigneurs. Le ministre résident supervisait les agissements du maître local. Il rassemblait le tribut payé par lui même et pouvait en cas de guerre réquisitionner des troupes parmi ses gens. De telles provinces étaient donc encore organiquement assez fortement liées et rattachées au grand corps de l’empire. Enfin une troisième zone en général périphérique constituait la peau de ce fruit c’était les royaumes subordonnés qui reconnaissaient l’hégémonie de l’empereur et le signifiaient en expédiant régulièrement des présents mais n’étaient pas organiquement et constamment reliées avec le centre. C’était en somme des protectorats dont l’adhésion au pouvoir central était fonction de la rigueur de celui-ci.
A partir du XVème siècle, la structure sociale va connaître une réelle évolution grâce à l’apparition d’une classe intermédiaire de lettrés et de marchands entre la classe aristocratique et l’immense majorité des paysans, artisans et indépendants.
Plus important que l’or du Bouré, les maliens de l’époque avaient su inventer un modèle social économique et politique adapté à la fois au monde et aux aspirations profondes de leurs populations. Dans son fameux texte " ce qui j’ai trouvé de louable au Mali ". Ibn Batouta écrivait au XIVème siècle " parmi les belles qualités de cette population nous citerons les suivants ".
1. le petit nombre d’actes d’injustice qui s’y commettent, car les noirs sont de tous les peuples celui qui l’abhorre le plus, le sultan ne pardonne point à qui de le rendre coupable d’injustice ;
2. la sécurité complète et générale dont jouit tout le pays. Le voyageur pas plus que l’homme sédentaire n’a à craindre les brigands, ni les voleurs, ni les ravisseurs ;
3. les noirs ne confisquent pas les biens des hommes blancs qui viennent à mourir dans leur contrée quand bien ils auraient des trésors immenses. Ils les déposent au contraire chez un homme de confiance d’entre les blancs jusqu’à ce que les héritiers se présentent et en prennent possession ;
4. ils font exactement leurs prières. Le vendredi quiconque ne se rend point de bonne heure à la mosquée ne trouve pas une place pour prier tant la foule est grande ;
5. les noirs se couvrent de beaux habits blancs tous les vendredi.
A la veille du 21ème siècle, le Mali et le reste du continent sont juste un tournant décisif de leur histoire.
Il s’agit enfin d’apparaître comme nation et peuple dans le concert des nations viables ou de disparaître à jamais car la mondialisation est féroce et impitoyable. Ce sont des interrogations beaucoup plus que des certitudes qui fusent de partout " l’histoire s’accélère à un rythme mécanique encore jamais vu et pris dans leur propulsion vertigineuse, certains peuples ont l’impression d’être condamnés à s’arracher par une force irrésistible à leur soubassement ancien par peur du vide il se précipitent avec avidité vers les nouveaux modèles venus d’ailleurs.
Mais l’avenir appartient aux groupes qui tout en larguant les aspects vétustes de leurs traditions périmées ne perdent pas l’esprit et conservent une personnalité de regard et d’être dans la maelström général, cette personnalité ils ne la trouveront pas dans les modèles proposés par l’extérieur qui ne peuvent être que des outils, des moyens à adapter, à remodeler mais dans la vitalité, l’adaptabilité, le dynamisme, l’intuition, l’éthique et la foi de l’esprit de leur civilisation ".
A la croisée des chemins où trouver nos références, notre soubassement ancien pour prendre appui et avancer ?
En fait la reconnaissance de l’identité culturelle, c’est à dire l’appartenance à un tissu ethnico-social, est un droit primordial fondamental un droit naturel aussi objectif que tous les autres droits. Il est irremplaçable et incontournable en tant que tel parce que seule la culture peut donner face au monde et à la vie une identité, c’est à dire le sentiment d’exister et la raison de vivre. Il est en effet impossible de lutter, d’agir tant que la personnalité du groupe, son soubassement culturel n’est pas assuré. Un groupe humain perturbé dans son assise culturelle ne peut avancer. L’identité culturelle constitue un espace de création, d’invention qui permet à un peuple de préfigurer son avenir et de maîtriser son destin. Pour remettre un groupe debout, il s’avère tout d’abord important de lui reconnaître son identité culturelle avec tous les droits que cela comporte. C’est à partir de ce moment qu’un peuple peut se faire confiance, utiliser ses propres moyens, s’interroger sur lui même et renaître. L’appartenance à une culture spécifique et sa reconnaissance à l’intérieur d’un ensemble plus vaste a été le socle de la nation malienne.
La diversité culturelle et la solidarité organique entre les différents groupes sociaux ont été son ciment jusqu’à nos jours. Il nous semble, à ce niveau de l’analyse, que le point d’achoppement crucial sur lequel repose la problématique de l’insertion de chaque territoire local dans son contexte (régional, national, frontalier).